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Olivier Grasser /08/ 7 flickers

Si le tableau est considéré comme l’objet par excellence de la peinture, les peintres abstraits ont depuis longtemps fait voler en éclats sa définition classique en le considérant autant comme un espace réel d’expérimentation que comme le support traditionnel de l’image. Le peintre catalan Miquel Mont transforme le bâtiment du Frac Alsace en un “objet-peinture“, en déployant les paramètres de son travail à son architecture et à son échelle. Plus qu’une exposition, il propose une expérience picturale de l’espace.

Miquel Mont instaure un jeu entre la peinture et l’architecture transparente du Frac Alsace : dès l’extérieur, l’œuvre interroge le visiteur sur la nature du lieu d’exposition. La paroi de verre de la façade du Frac est partiellement recouverte de deux groupes de bandes verticales colorées, courant chacun suivant un même rythme décroissant, dans des directions inverses à partir des extrémités du bâtiment, et finissant par se croiser et s’entremêler vers son centre. L’opacité de la couleur contraste avec les reflets du verre et, au fil des bandes colorées, le regard effectue une suite de mises au point dans et sur le bâtiment. Le lieu d’exposition, espace symbolique du tableau, est ainsi traité comme un tableau. Il est le support de la peinture, qui n’est plus ici présentée à l’abri des cimaises mais au regard de la ville.
A l’intérieur de la salle d’exposition, sur le mur du fond, s’alignent sept tableaux de la série des « Flickers », d’échelle humaine et aux châssis épais, et dont le principe de réalisation a servi de base à l’exécution de la façade. Ils sont conçus suivant une règle d’alternance, tantôt verticale tantôt horizontale, de bandes monochromes et de bandes évidées dans la surface du tableau. Dans une palette restreinte de couleurs douces, les mesures des bandes peintes et des parties ajourées s’enchaînent sur un rythme discret. Le visiteur est invité à exercer l’acuité de son regard entre les pleins et les vides, devenant eux-mêmes forme et couleur en se détachant du mur qu’ils découvrent, et à se déplacer, à effectuer des va-et-vient de l’un à l’autre des tableaux, comme des jeux d’accommodation. Enfin, le passage de la lumière au travers des bandes extérieures baigne l’espace d’ondes diffuses de couleur, qui viennent donner la sensation de déambuler à l’intérieur même d’un tableau.

Depuis plus de quinze ans, à l’écart des modes, Miquel Mont développe une œuvre raffinée, à la fois sensible et conceptuelle, dans l’héritage et la poursuite de la peinture abstraite et minimale. Elle se définit, au-delà de la figure et de la narrativité, comme une recherche sur les conditions, les contextes et les limites de la peinture, de la conception de l’œuvre à son exposition. Libéré de toute contrainte de représentation, ce travail poursuit avec séduction et dynamique une analyse et une exploitation des fondamentaux de la peinture. À partir du seul usage d’un vocabulaire et d’une grammaire radicalement ramenés à leur plus simple expression – couleur, matière, geste et support – chaque réalisation de Miquel Mont est une tentative de renouveler l’équilibre subtil entre le processus de mise en œuvre et l’expérience première de vision, inhérente à la peinture. La peinture de Miquel Mont ne se dédie à aucun sujet, elle se prend elle-même comme objet, interrogeant sans relâche son sens par la construction d’un inventaire des possibilités de se montrer en tant que telle. Il en est ainsi de séries dans lesquelles la couche picturale est soumise à décollements, superpositions ou écrasements, ou d’autres dans lesquelles le support est perforé, exagérément réduit ou gonflé. Mais là où le danger pour l’artiste serait de s’aveugler dans un exercice formaliste vidé de sens, Miquel Mont réussit le pari de continuer à interroger le regard. Non seulement il ne réduit pas la peinture à un objet distant, ludique ou contemplatif, mais, plus encore, il engage le regardeur dans une relation participative avec l’espace et le réel.

Le projet de Miquel Mont au Frac Alsace témoigne de son souci de pérenniser et d’actualiser une pratique picturale qui, dans ses prémisses historiques des années 60, a été empreinte de pensée théorique et d’un souci de redéfinition des cadres artistiques. Chez lui, le tableau demeure un élément central de la peinture. Il ne le condamne pas, mais continue à l’explorer en le maintenant en équilibre entre affirmation et déconstruction. À partir du tableau, ce sont les supports et les formes éventuelles de la peinture qui sont questionnés. L’architecture, dans son caractère à la fois esthétique et utopique, mais aussi dans ses fonctions sociales, devient souvent un référent à l’aune duquel il mesure la pratique picturale, et la fonction de l’art en général. De l’aplat monochrome et décoratif au lettrage ostentatoire d’une appellation commerciale, Miquel Mont investigue toute une gamme d’interventions où la peinture, pragmatique et tenue à distance de l’interprétation subjective, alimente une réflexion politique sur l’économie des signes, des couleurs et des matières dans l’espace urbain. La réalité est prise à partie par l’œuvre. Qu’elle soit clairement évidente ou à la limite de l’invisibilité, elle se mesure aux signes de pouvoir dans l’espace public. Sans bruit et en incitant le regard à ralentir sa course, l’œuvre de Miquel Mont produit ainsi des objets de plaisir et de pensée.
Olivier Grasser

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