« Chez Hegel, la proposition selon laquelle l’art pense est en continuité avec l’affirmation plus générale, dont elle constitue une version particulière, qui veut que la matière ou les choses pensent ; cette affirmation est toujours coextensive à l’argument hégelien qui veut que la dialectique ne soit pas une méthode mais plus précisément une simple conséquence de l’attention portée au monde ».
Depuis une dizaine dʼannées, lʼoeuvre picturale de Miquel Mont sʼest développée en séries parallèles et complémentaires, fondées sur des processus de création spécifiques (séries des dispersions, des gouttes, des versements, des peaux, des peintures empilées, emmurées, murales ou ready-made) et, conjointement, des modes de pensée, dʼapproche et dʼexposition de la peinture dans sa matérialité, sa tactilité, ses rapports à lʼenvironnement, à lʼespace, à la lumière et aux spectateurs.
Ses expositions les plus complètes et les plus riches en termes dʼexpériences pour les visiteurs, comme celle qui se tint dans un appartement de la Cour Bérard à Paris, organisée par la Galerie Le Sous-sol en 1998 et celle au Crestet Centre dʼart contemporain à lʼautomne 2001, donnent à voir et à appréhender de manière sensible et théorique les différences de qualités facturelles selon les oeuvres et opérations, mais aussi les déplacements de lieux de la peinture et du regard porté sur elle, de la surface à la tranche, du mur au sol où elle prend socle, sʼappuie ou quʼelle recouvre, à lʼespace quʼelle divise ou dont elle expose les spécificités. Avec une pensée pour Olivier Mosset selon qui lʼimportant est de penser « comment la peinture est posée et comment elle fonctionne » et pour Marthe Wéry, pour qui la peinture est « un moyen de penser comme un autre », deux artistes quʼil cite dans un texte précis et éclairant sur le « dʼoù il peint » , la peinture de Miquel Mont réactive la nécessité de penser la peinture en tant que pratique théorique. Il en découle que les oeuvres produites et exposées sont appréhendées comme des objets de connaissance, voire des « objets théoriques » selon un concept élaboré par Louis Althusser et repris par Daniel Buren et Supports-Surfaces au tournant des années 1970.
Comme lʼa souligné Michel Gauthier dans un article consacré à ce que Marina (peinture emmurée n°12) de 1994 ouvrait comme regard sur le dispositif culturel du tableau et la matérialité de la peinture prise en sandwich et débordant de deux panneaux de contreplaqué posés sur des cales à quelques centimètres du sol, les modes de production de Miquel Mont ne se limitent pas à répondre à « la question dʼépoque – comment, maintenant, faire de la peinture ? » en sʼinscrivant dans la continuité de lʼinvention de procédures héritées du dripping pollockien et du pouring de Morris Louis ou de Larry Poons (où le hasard est toujours contrôlé par la maîtrise de lʼoutil et de la technique, ou encadré par des contraintes gestuelles établies telles des règles du jeu comme chez Bernard Frize), ils deviennent « le vecteur dʼune véritable pensée picturale » . Néanmoins, il a eu à répondre à cette question du « comment peindre aujourdʼhui » et à trouver les moyens de cette réponse pour engager le travail et négocier un triple héritage : celui de la modernité catalane qui a imprégné son éducation artistique et politique, marquée par une peinture informelle appartenant à lʼhistoire de lʼabstraction européenne de lʼaprèsguerre et en relation avec lʼexpressionnisme abstrait américain (où « une exploration de soi allait de pair avec la construction dʼun langage » ), celui du récit dominant – parce que le plus construit – du modernisme qui définissait les termes héroïques (les fins et donc, dʼune certaine manière, la fin) de la peinture sous la forme dʼune continuité linéaire de réductions par successions dʼétapes autoréflexives et auto-critiques jusquʼà la déclaration de son absolue autonomie (récit au bout duquel le monochrome et la grille modulaire ont joué à la fois le rôle dʼune affirmation de la fin de la peinture et de sa possible continuité en ses limites internes et externes ), celui aussi de lʼart conceptuel et des pratiques théoriques critiques qui déconstruisent les rapports de lʼartiste à son oeuvre, de celle-ci au contexte de production et dʼexposition, tout comme au système de la circulation des signes et des marchandises. Enfin, lʼinitiation de Miquel Mont à la peinture débuta dans les postmodernes années 1980, où, soit les modèles de la modernité (y compris lʼabstraction) étaient considérés comme des styles ou des genres empruntables, parodiables ou mixables, soit renvoyés ironiquement à la fatalité de leur assimilation et de leur réification marchandes et culturelles.
Tout en tenant à distance ce que la peinture informelle catalane pouvait contenir de de croyance en une congruence gestuelle et psychique du moi et du langage pictural déployé sur la surface du tableau (et qui avaient déjà été épinglés par les Factum 1 et 2 de Robert Rauschenberg en 1957, puis le tableau Moderne Kunst de Sigmar Polke en 1968), celle-ci a informé le rapport de Miquel Mont au matériau, à lʼéchelle des oeuvres et au temps de la pratique et du travail par séances, depuis la préparation des supports en contreplaqué (leur découpe, leur contrecollage, les trous placés en grilles pour les peaux…) jusquʼaux couches épaisses superposées, déversées jusquʼà saturation du support, constituées des cratères provoqués par le goutte à goutte de peinture très liquide ou de restes, de copeaux de couleurs. Si elle est départie de tout expressionnisme, lʼapproche de Miquel Mont est plus matérialiste que mécaniste ; il ne met pas à distance le faire, mais le revendique comme une composante essentielle de lʼactivité de peindre comme moyen de penser et médiation de la connaissance. Ainsi réactive-t-il la notion de faktura, paradigme de la peinture russe des années 1910-1920, lorsque Alexandre Rodtchenko menait une véritable pratique expérimentale de laboratoire, artisanale, scientifique et théorique, sur les moyens de la peinture envisagée selon ses composants matériels, en-deçà ou au-delà de toute question de représentation et de toute velléité de faire image. Comme lʼécrivait Nicolas Taraboukine, “la forme dʼune oeuvre dʼart sʼélabore à partir de deux moments fondamentaux : le matériau (couleurs, sons, mots) et la construction, par laquelle le matériau sʼorganise en un tout achevé, acquiert sa logique artisanale et son sens profond” .Ceci définit précisément la faktura ainsi que lʼapproche et la résolution de chaque œuvre de Miquel Mont,par la combinaison du médium, de la construction, mais aussi des supports (toile préparée ou panneaux de contreplaqué), des dimensions (les peaux, sous-tendues par des grilles trouées, requièrent de plus grandes dimensions que les tableaux ready-made, réalisés à partir de résidus de peinture) et, finalement de son mode dʼexposition. Au-delà de la précision qui préside à la résolution de chaque oeuvre abordée comme un problème de peinture, toutes offrent au regard une combinaison optique et tactile souvent savoureuse, sensuelle, appelant au toucher (je songe notamment à lʼensemble de onze petits tableaux intitulé Jazz abstracto de 1995-1996, présenté au musée dʼart moderne de Saint-Étienne dans lʼexposition Abstraction/abstractions, géométries provisoires), à lʼinstar des tableaux noirs de Rodtchenko et de tous ceux dont on peut souligner une approche et dʼune pratique matérialistes de la peinture, depuis Picasso et Braque qui sont la source historique de la croissance dʼintérêt pour la facture, jusquʼà Robert Ryman ou Martin Barré (pour qui la notion de séance était essentielle).
Cette insistance sur la facture et la matérialité de la peinture, combinée à la question cruciale de ses dimensions, de son mode d’exposition et par-là même de la structuration de la perception sensible et théorique que nous en avons (où l’on peut deviner un héritage du minimalisme et particulièrement des objets spécifiques de Donald Judd, même si la plasticité de la peinture chez Mont l’en éloigne), revient à critiquer l’issue principale du modernisme qui fut celle de l’assignation de la peinture à la planéité, à sa délimitation et à l’appréhension strictement optique et frontale des tableaux . Pourtant, du cubisme à Frank Stella, en passant par Piet Mondrian ou Vladimir Tatline, cette combinaison de la matérialité de l’objet pictural et du dispositif de l’œuvre incluant les paramètres de son exposition, de sa façon d’habiter l’espace et donc de structurer une expérience autant optique que tactile chez les spectateurs n’a cessé d’être au cœur des démarches qualifiées de modernistes. L’insistance de Walter Benjamin sur la réception tactile et la valeur d’exposition dans L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique en 1935 montre combien la peinture moderne s’est confrontée à ces questions et combien elle en a permis l’élaboration conceptuelle . D’ailleurs, même Greenberg ne s’y était pas trompé puisqu’il saluait en 1943, avant de revenir sur cette position et de la critiquer, une “tendance dominante de la peinture depuis le cubisme (…) qui, par les moyens de l’abstraction, du collage, de la construction et l’usage d’éléments étrangers tels que papier, tissu, bois, corde, métal et ainsi de suite, essaie presque littéralement de déboyauter le tableau. Son contenu pictural – tout comme le fait physique du tableau lui-même – consiste à pénétrer la présence du spectateur de la même manière et tout aussi complètement que ne le font les murs, les meubles et les gens. Ce qui a lieu à l’intérieur des limites du tableau a le même statut d’immédiateté que les limites elles-mêmes” .
Cette dimension d’objet de la peinture renvoie d’abord à sa dimension sculpturale. De ce point de vue, les œuvres de Miquel Mont sont les héritières des tableaux les plus sculpturaux de Mondrian (les trois New York City de 1942-1944) qui détachent leur plan compact du mur d’où ils s’exhaussent par la médiation d’un cadre disposé à l’arrière de la surface sanglée par la grille, mais aussi des reliefs des années 1960 de Blinky Palermo (dont les œuvres de Mont portent la mémoire au début des années 1990), des grilles de bois de Daniel Dezeuze qui se déroulaient du mur au sol dans les années 1970, comme des piles de tableaux (1968-1983) et Sandwiches (1992) d’Imi Knoebel. De par leur dimension sculpturale, les tableaux de Miquel Mont favorisent un déplacement du regard sur la peinture de la frontalité vers le biais, impliquant le corps du spectateur dans son entier. Le face-à-face est déjoué, aucune projection spéculaire n’est possible. Je songe notamment à un grand panneau monochrome, recouvert de peinture argentée, qui accueillait le visiteur dans la première salle de l’exposition du Crestet en 2001. Exposé volontairement face à une baie vitrée, sa surface était impossible à saisir en son entier en raison des reflets et de l’ombre projetée du spectateur, appelé à déporter son regard sur la tranche de ce tableau posé sur des cales et appuyé contre le mur, afin de mesurer l’épaisseur du plan et la plasticité de la peinture. Avec tact, l’artiste induisait un déport du regard qui devenait récurrent sur toutes les autres œuvres exposées, notamment Marina qui la voisinait au sol et dont on n’appréhendait, d’abord, que la surface de contreplaqué veinée et rythmée de nœuds, avant de se pencher et de voir les débordements latéraux de la peinture compressée.
Cette exposition du Crestet manifestait clairement que sa peinture, une fois parvenue à ses premiers termes (les peintures dispersées, gouttées, versées, empilées et emmurées), incluait de plus en plus comme paramètres déterminants ses rapports aux espaces d’expositions et à la perception optique autant que tactile des spectateurs. En plus des œuvres autonomes, sorties de l’atelier et agencées telles des « pièces à convictions » ou des « archives » du travail de la peinture en tant que pensée et pratique théorique de la peinture , Miquel Mont avait réalisé des peintures murales dans le patio et à l’intérieur de l’ancienne maison-atelier du sculpteur François Stahly. Une première station dans le patio du centre d’art provoquait un suspens, une indécision quant à ce qui relevait de l’interpénétration, par la réfraction et la transparence des baies vitrées, des trois murs peints en jaune, en rouge ou en rose, dans le patio même et dans les salles qui s’ouvraient sur lui, et quant à ce qui appartenait architectoniquement et picturalement à chacun de ces espaces particuliers. Le mirage d’une fusion des espaces intérieurs et extérieurs provoquait des perturbations optiques, le pan de mur rose d’une des salles se dédoublait au sol sous l’action de la paroi jaune du patio réfractée par la vitre qui les séparait. Le jaune devenait orange du fait de cette projection et une vibration à la Rothko en découlait, puis le regard s’assurait d’un appui architectural et coloré en se concentrant sur le mur peint en jaune.
Cette expérience, déterminée par l’habitation picturale de l’espace architectural, induisait une autre appréhension, physique et tactile, du lieu dont on prenait la mesure, et reportait l’attention sur le bâtiment de pur style moderniste, où étaient savamment orchestrés plans, volumes et jeux de lumière, dont Mont avait su tirer parti et auquel il rendait hommage. Depuis et à l’instar d’autres artistes tels Daniel Buren, Blinky Palermo ou Christophe Cuzin, Miquel Mont a développé un pan important de son travail dans cette direction d’interventions in situ, proposant des réponses circonstanciées aux lieux dans lesquels il intervient et est invité à exposer (les plus récentes eurent lieu en 2002 au Centre Culturel La Caixa à Lleida en Espagne, lors de Voir en peinture au Plateau à Paris en 2003 et d’une exposition personnelle au Centre culturel français à Milan en 2004). L’artiste intègre ainsi un souci de problématisation des rapports de l’œuvre à son espace de production et d’exposition, issu des pratiques conceptuelles et de déconstruction critique des constituants et aboutissants matériels et idéologiques de l’art en général et de la peinture en particulier (notamment Art & Language). Ce souci était confirmé au Crestet par la présentation du Cabinet des desseins, constitué de carnets photographiques et de collages qui articulent des photographies, des images de presse et des citations empruntées à la littérature philosophique et politique.
Cet apport des photographies et des collages dans le contexte d’une exposition souligne de nouveau le désir d’exposer le travail dans ses déplacements et ses passages, déjà perceptible dès lors qu’il confronte les différences d’approche et de résolution de la peinture dans ses formats proches de tableaux, dans ses effrangements avec la sculpture et dans ses relations avec l’espace architectural. Ainsi le visiteur n’est-il pas seulement confronté à des œuvres, mais aussi à une exposition en tant que discours et espace de démonstration (selon une notion élaborée par El Lissitzky au moment de ses projets Proun et de ses activités de scénographe d’expositions à Dresde et Hanovre dans les années 1920 ), qui inclut une présence de l’atelier et du contexte de création grâce au Cabinet des desseins. Cela est évident dans les deux premiers carnets de photographies centrées sur l’atelier (ses murs, son sol, des visions fragmentaires d’œuvres achevées ou en cours de réalisation), la matière, le médium, les outils, la facture, l’organisation de l’espace… Dans d’autres carnets ont été classées des photographies qui abordent la peinture sur un plan métaphorique. Des images de recouvrements, d’empilements, de sous-couches, de contrastes de matériaux et de plans transparents ou opaques, de déchirures, de débris, d’infiltrations ou d’écoulements sont prélevées dans des espaces essentiellement urbains où s’articulent des espaces et des objets semblables à des peintures ou des sculptures trouvées (carnet n°11 Événements). Il pointe ainsi, par ces aller-retours entre peinture et photographie, les exils de la peinture en dehors d’elle-même mais aussi les symptômes de son autonomie très relative au sein de la circulation culturelle, marchande et idéologique des signes dans un espace où le mobilier urbain est de surcroît porteur de la gamme de couleurs modernistes dont use Miquel Mont.
Ces carnets ont donc aussi valeur d’enquêtes, d’analyses et de questionnements des rapports de la peinture à un contexte très large de production et d’économie du travail. Ils sont nés d’une attention portée au monde par le truchement de l’appareil photographique d’où naît, comme le précise la citation de Stephen Melville placée en exergue de ce texte, l’intelligence dialectique de la confrontation du « d’où je peins» et « comment je peins » dans le vaste « où je peins » qui ne se réduit pas à l’atelier et aux circuits artistiques mais s’étend à l’univers des flux urbains dont Miquel Mont enregistre et redistribue les signes et le sens dans l’archivage, le classement et la confrontation complexe de ses clichés dans ses carnets, parfois dédoublés et rythmés en séquences par des pages monochromes (carnets 6 et 7). Ces photographies confirment la « condition d’artefact culturel » de la peinture, son « inévitable réification au sein des circuits artistiques », tout comme la « situation de ready-made inhérente à toute peinture, à toute image » , avec une certaine ironie qui n’est pas sans rappeler les Charges-objets de Jean-Michel Sanejouand, dont ces œuvres de 1963-1967 ne cessent de provoquer des résonances, aujourd’hui, avec celles d’artistes contemporains de Miquel Mont, tels James Hyde et Pascal Pinaud. Il s’agit moins, en l’occurrence, d’exposer des effets de peinture ou de la « peinture sans peinture » par le truchement de la photographie (comme Raymond Hains ou Jacques Villeglé ont pu le faire avec les affiches décollées et travaillées en leurs couches), que de penser le poids de la peinture face au monde et dans la circulation culturelle et économique des signes.
Si la photographie est pour Miquel Mont, puis pour les visiteurs de ses expositions, un moyen de comprendre et de vérifier la très relative autonomie de la peinture (quand bien même celle-ci s’expose dans sa plus objective tactilité et tangible matérialité), elle participe également de l’atelier au sens large en tant qu’élément du projet pictural. Intituler Cabinet des desseins ces ensembles ajustés lors de chaque exposition revient en effet à souligner tout ce qui concourre au projet, à l’analyse, au questionnement de la peinture, de sa pratique et de ses enjeux esthétiques et critiques. Enfin, l’introduction de ces carnets de photographies dans les expositions de Miquel Mont induit de nouvelles différences (ne serait-ce que dans leur mode d’exposition sur des pupitres et le changement de position, physique comme réflexive, que vit le visiteur) et des déplacements de la pratique et du regard par effrangements des médiums. Ce fut le cas à la Galerie Le Sous-sol à Paris et au Pavillon à Pantin en 2003 puis à la Galerie Pitch à Paris en 2004, où une impression agrandie de photographie sur papier calque était combinée à des plans picturaux monochromes en relation avec l’espace de production et d’exposition. Plus encore, on devine une incidence passionnante de la photographie dans deux pièces récentes, exposées l’une à la Galerie Thaddaeus Ropac à Salzbourg en 2003 et l’autre à la Galerie Aline Vidal à Paris en 2004, qui ont tous les atours d’œuvres conçues comme un questionnement des dispositifs d’expositions : des étagères en métal, vides de tout contenu en termes d’objets à exposer au regard, associées à des plans monochromes peints au mur et de verres transparents ou teints inspirés des vitrines de magasins.
Ces dernières œuvres montrent combien, au-delà de la tridimensionnalité effective de ces dispositifs, le modèle de la bidimensionnalité comme forme de structuration du regard, de l’expérience visuelle et du commerce avec les formes et les signes n’est pas l’exclusive de la peinture. C’est la pratique de la photographie, la nécessaire distance opérée lors des prises de vue et les sensations d’espaces qu’elles délivrent qui a induit ce déplacement dans l’œuvre picturale de Miquel Mont, ce nouvel élément qui vient singulièrement problématiser l’ensemble du corpus créé depuis le début des années 1990, qui semblait jusqu’alors s’affranchir de la bidimensionnalité afin d’assurer un poids physique et sculptural de la peinture. C’est peut-être paradoxalement dans l’investissement des espaces et volumes architecturaux que se noue la dialectique de la bidimensionnalité et de la tridimensionnalité dans la peinture de Miquel Mont, car si d’évidence l’espace d’exposition investi en ses murs mêmes est un volume il n’en demeure pas moins que celui-ci peut être traité comme un agencement de plans opaques et transparents, redoublé par l’opération de la peinture. L’insistance du monochrome et de la grille chez Miquel Mont traduit cette persistance d’une pensée bidimensionnelle de l’architecture depuis le modernisme, qui n’empêche nullement la production de qualités d’espaces et de volumes (le Pavillon de Mies van der Rohe à Barcelone, la ville natale de Miquel Mont), que l’on arpente et perçoit à la fois distraitement, comme l’affirmait Walter Benjamin, et activement par la médiation du corps et du regard.
Cette articulation d’une perception distraite et active, optique et tactile est au centre de la démarche de Miquel Mont, dont la richesse et la complexité ne cessent de croître pour le plaisir sensible et théorique des visiteurs de ses expositions. Au-delà de la prime réponse au « comment peindre aujourd’hui », ses œuvres et dispositifs déterminent de nouveaux seuils d’appréhension de la peinture, qui ne saurait être réduite à sa matérialité et à l’appréciation tactile de ses caractéristiques physiques, car elle ouvre à une pensée nécessaire de ses conditions de production (très larges comme je l’ai pointé) et d’exposition. Comme l’ont affirmé nombre d’artistes et de critiques depuis El Lissitzky, Laszlo Moholy-Nagy et Walter Benjamin jusqu’à Daniel Buren, Art & Language et Yve-Alain Bois, la valeur d’exposition d’une œuvre ne saurait être pensée dans un « après-coup » du travail mais dans la mise en œuvre même de l’œuvre, qui inclut ainsi les paramètres de sa perception sensible et de l’appréciation de ses enjeux théoriques. Il en va de la responsabilité de l’artiste vis-à-vis de sa pratique et de ce qu’il donne à voir, et ceci n’est pas une mince affaire car il s’agit rien moins que d’éprouver la capacité de la peinture à endurer le monde et à produire de la pensée.
Tristan Trémeau
Tristan Trémeau est docteur en histoire de lʼart, critique dʼart (Artpress, LʼArt Même)
et commissaire dʼexpositions. Il enseigne lʼhistoire de lʼart et lʼesthétique aux
universités de Paris 1-Sorbonne et Valenciennes.
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